Bulletins JSA

AVRIL – MAI 2021

Editorial

BARÈME MACRON : LA RÉSISTANCE CONTINUE

Régulièrement critiqué depuis son entrée en vigueur, le barème dit « barème Macron » a été une nouvelle fois écarté, cette fois-ci par la Cour d’appel de PARIS dans un arrêt du 16 mars 2021 (CA PARIS, pôle 6, ch.11, 16 mars 2021, n°19/08721).
Souhaité par Emmanuel Macron alors qu’il était encore ministre de l’économie sous le quinquennat de François Hollande, ce barème a été instauré par l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 (article L. 1235-3 du Code du travail).
Il définit, après avoir pris en compte deux critères que sont l’ancienneté du salarié et la taille de l’entreprise, les indemnités minimales et maximales dues par l’employeur à son ancien
salarié en cas de licenciement considéré par le juge comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Censé permettre aux employeurs d’anticiper et maîtriser les risques en cas de licenciement d’un salarié, ce barème a été remis en cause à plusieurs reprises par les juges du fond, qu’ils s’agissent de Conseils de Prud’hommes ou de Cours d’appel, considérant qu’il n’assurait pas une réparation adéquate et appropriée du préjudice du salarié.
Pour justifier cette position, ces juridictions se sont, pour la plupart, référées à la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales, à la Charte Sociale Européenne et à la Convention de l’Organisation Internationale du Travail n° 158.
Pourtant, dans deux avis rendus le 17 juillet 2019, la Cour de cassation, en formation plénière, avait considéré que ce barème était conforme aux textes internationaux précités.
N’ayant pas de portée contraignante, cette position est donc loin de faire l’unanimité.
L’arrêt de la Cour d’appel du 16 mars 2021 précité en constitue un nouvel exemple.
En l’espèce, une salariée avait été licenciée alors qu’elle comptait un peu moins de 4 ans d’ancienneté. Considérant la rupture du contrat de travail dépourvue de cause réelle et sérieuse, la Cour d’appel aurait dû, en application du barème Macron, lui accorder une indemnité comprise entre 3 à 4 mois de salaire.
Or, celle-ci a constaté qu’une telle indemnité ne couvrait à peine que la moitié du préjudice financier subi depuis le licenciement et a donc considéré que les dispositions de l’article L. 1235-3 du Code du travail ne permettaient pas une indemnisation adéquate et appropriée du préjudice subi, compatible avec les exigences de l’article 10 de la Convention 158 de l’Organisation Internationale du Travail.
Se basant sur la situation « concrète et particulière » de la salariée (âge, ancienneté, capacité à trouver un nouvel emploi au vu de sa formation et de son expérience professionnelle
et conséquences du licenciement à son égard), les juges ont dès lors écarté le barème Macron pour accorder à l’intéressée une indemnité de 32.000 €, représentant un peu plus de 7 mois de salaire.
Cet arrêt de la Cour d’appel de PARIS, qui se situe sur la même ligne que celle adoptée précédemment par les Cours d’appel de REIMS (arrêt du 25 septembre 2019), CHAMBÉRY (arrêt du 14 novembre 2019), CAEN (arrêt du 12 décembre 2019), GRENOBLE (arrêt du 2 juin 2020) ou BOURGES (arrêt du 6 novembre 2020), vient ainsi accentuer l’incertitude déjà présente autour de l’application de ce barème.
Pour rajouter à cette confusion (cacophonie ?), il est à noter qu’une autre chambre de cette même Cour d’appel de PARIS avait adopté en octobre 2019 une position qui semblait se ranger à l’avis rendu par la Cour de cassation en appliquant strictement le principe de plafonnement issu du barème, sans évoquer dans sa motivation la possibilité d’y déroger (CA
PARIS, Pôle 6, Ch. 8, 30 octobre 2019, n° 16/05602).
Il est donc hautement souhaitable que la Cour de cassation se prononce rapidement sur la question dans un arrêt afin d’apporter une clarification vivement attendue par les employeurs mais également par les salariés.

Actualité

SENSIBILISATION AUX GESTES DE PREMIERS SECOURS : OBLIGATIONS DE L’EMPLOYEUR

La loi n° 2020-840 du 3 juillet 2020 visant à créer le statut de citoyen sauveteur prévoit, en son article 3, que les salariés doivent bénéficier d’une sensibilisation à la lutte contre l’arrêt cardiaque et aux gestes qui sauvent préalablement à leur départ à la retraite (article L. 1237-9-1 du Code du travail).
Le contenu, le champ d’application et les modalités de mise en oeuvre de ce dispositif devaient être définis par décret.
C’est chose faite depuis la publication au Journal Officiel du 20 avril 2021 du décret n° 2021-469 du 19 avril 2021 (codifié aux articles D. 1237-2-2 et D. 1237-2-3 du Code du travail).
Ce dispositif concerne toutes les entreprises, quelle que soit leur taille.

Cette action de sensibilisation, qui doit se dérouler pendant l’horaire normal de travail et être considérée comme du temps de travail, a pour objectif de permettre aux salariés d’acquérir les compétences nécessaires pour :

  • assurer leur propre sécurité, celle de la victime ou de toute autre personne et transmettre au service de secours d’urgence les informations nécessaires à son intervention ;
  • réagir face à une hémorragie externe et installer la victime dans une position d’attente adaptée ;
  • réagir face à une victime en arrêt cardiaque et utiliser un défibrillateur automatisé externe.

    Le décret renvoie à un arrêté le soin de définir les organismes et professionnels autorisés à dispenser ces actions de sensibilisation, sachant qu’un arrêté du 30 juin 2017 autorise déjà les services d’incendie et de secours ainsi que les associations agréées et organismes habilités à la formation aux premiers secours, à dispenser ce type d’actions de sensibilisation.

Jurisprudence

ACCIDENTS DU TRAVAIL : LA FAUTE INEXCUSABLE DU PARTICULIER EMPLOYEUR N’OBÉIT PAS À UNE DÉFINITION AUTONOME

Les employés à domicile travaillant pour des particuliers employeurs ne sont normalement soumis qu’à certaines dispositions du Code du travail énumérées à l’article L. 7221- 2 de ce Code (harcèlement, journée du 1er mai, congés payés, congés pour évènements familiaux, surveillance médicale).
Pour autant, la Cour de cassation a, au fil de sa jurisprudence, considéré que les employés de maison étaient également concernés par d’autres dispositions non visées par l’article L. 7221-2 précité, estimant que la liste énumérée à cet article n’était pas limitative (indemnité de licenciement, réglementation en matière de travail dissimulé, règles de preuve relatives
à l’existence ou au nombre (Cass. 2ème civ. 8 avril 2021, n° 20-11.935).
Dans cet arrêt du 8 avril 2021, la Cour de cassation en livre un nouvel exemple.
La question se posait de savoir si l’obligation de sécurité et de protection de la santé qui découle des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail ainsi que l’appréciation de la faute inexcusable telles que prévues pour l’employeur professionnel étaient également applicables au particulier employeur.
La réponse des Hauts-Magistrats est sans ambiguïté.
Comme tout employeur, le particulier ayant recours à des employés de maison est tenu à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé. Le manquement à cette obligation est susceptible de constituer une faute inexcusable dans les mêmes conditions que pour l’employeur professionnel (conscience du danger que l’employeur avait ou aurait dû avoir et absence de mesures nécessaires pour préserver le salarié).
Ainsi, la qualité de particulier employeur ne dispense ni de l’obligation de sécurité, ni de la mise en jeu de sa responsabilité au titre de la faute inexcusable, aucune dérogation au droit commun n’étant admise.

PORT DU VOILE : SANS CLAUSE DE NEUTRALITÉ DANS LE RÈGLEMENT INTÉRIEUR, L’ATTEINTE À L’IMAGE COMMERCIALE NE JUSTIFIE PAS L’INTERDICTION(Cass. soc. 14 avril 2021, n° 19-24.079)

L’article L. 1321-2-1 du Code du travail prévoit que le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles
sont proportionnées au but recherché.
Dans une décision rendue le 22 novembre 2017, la Cour de cassation avait reconnu la possibilité d’insérer dans le règlement intérieur une clause générale permettant d’interdire
aux salariés le port de tout signe religieux, politique ou philosophique, lorsqu’ils sont en contact avec les clients.
A défaut d’une telle clause dans le règlement intérieur, l’interdiction faite aux salariés n’est possible que s’il existe une « exigence professionnelle essentielle et déterminante » et
pour autant que l’objectif soit légitime et l’exigence proportionnée (article L. 1133-1 du Code du travail).
Dans sa décision rendue le 14 avril 2021, la Cour de cassation a jugé qu’en l’absence de clause de neutralité dans le règlement intérieur, l’interdiction faite à une salariée de porter un
foulard islamique caractérisait une discrimination directement fondée sur les convictions religieuses dès lors que l’attente des clients sur l’apparence physique des vendeuses d’un
commerce de vêtements ne pouvait constituer une exigence professionnelle essentielle et déterminante permettant de justifier cette interdiction.
Conséquence : Le licenciement d’une salariée prononcée dans ce contexte suite à son refus de retirer son foulard islamique lorsqu’elle était en contact avec la clientèle, est discriminatoire et donc nul.

Bulletin rédigé par Me Philippe BODIN – SCP BASILIEN-BODIN Associés
4, rue NIEPCE – 60200 COMPIÈGNE